18/03/15
Ordinateur professionnel du salarié : les limites du contrôle de l'employeur
En un coup d'oeil :
« Selon une étude réalisée en 2010 par la société OLFEO, 63 % du temps passé par les salariés sur Internet au travail l’est pour un usage non professionnel » (Ronan Kervadec, et Laura Bertrand, Les Cahiers Lamy du CE, n°101 fév. 2011 ).
Sites internet, réseaux sociaux, SMS, mails privés.. L’émergence et la démocratisation de ces nouvelles technologies entrainent de nombreuses difficultés dans les relations salariés-employeurs. Alors que l’employeur les envisage comme un frein à la productivité et à la concentration de ses salariés, ces dernières permettent aussi un espionnage sans précédent.
Il est légitime pour l’employeur de vouloir contrôler l’exécution de la prestation de travail et le cas échéant, la loyauté de son salarié. Cette « cyber surveillance » peut donc s’avérer séduisante, mais ne doit pas faire l'objet d'abus, notamment au détriment du droit au respect de la vie privée du salarié. Cette limite est imposée à l’article L.1121-1 du Code du travail (« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».)
« La difficulté rencontrée aujourd'hui tient au fait qu'il est difficile de faire la différence entre ce qui relève de la vie professionnelle et ce qui ressort de l'intimité de la vie privée, dans un cadre où l'utilisation des nouvelles technologies est généralisée et convergente. » (Marie-Pierre Fenoll-Trousseau docteur en droit-HDR, Professeur de droit des affaires à ESCP-EAP, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 27, 5 Juillet 2007)
Le salarié placé dans un lien de subordination, doit exécuter de bonne foi sa prestation de travail. « L’employeur a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Arrêt n°94-13.18, Société Générale, du 13 novembre 1996, Cour de Cassation, Chambre sociale). Par conséquent, « l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail » (Arrêt n°11-30266, du 4 juillet 2012, Cour de cassation, Chambre sociale)
L’accès par l’employeur, à l’ordinateur mis
à la disposition du salarié :
Principe : l’employeur y est autorisé, l’utilisation de l’ordinatieur est présumée professionnelle
- « Les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique sont présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence (Arrêt n°04-48025, du 18 octobre 2006, Cour de cassation, Chambre sociale).
- Les connexions établies par un salarié sur des sites internet pendant son temps de travail grâce à l’outil informatique mis à sa disposition (…) sont présumées avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut les rechercher aux fins de les identifier, hors de sa présence » (Arrêt n°06-45800, du 9 juillet 2008, Cour de cassation, Chambre sociale).
- « L’inscription d’un site sur la liste des « favoris » de l’ordinateur ne lui confère aucun caractère personnel »
En l’espèce, le chef des services éducatifs de l’association Relais jeunes Charpennes avait été licencié pour faute grave, en raison de l’utilisation de son poste informatique pour accéder à des sites pornographiques répertoriés dans ses favoris. Par conséquent, il estimait que son employeur ne pouvait pas se fonder sur cette liste pour le licencier, eu-égard son caractère privé.
- Présomption du caractère professionnel des e-mails reçus grâce au matériel de l'entreprise, au lieu et au temps de travail (Arrêt n° 05-43102, du 30 mai 2007, "Société The Phone House, Cour de Cassation, Chambre sociale).
- Lorsqu’une clé USB est connectée à l’ordinateur ou à la tablette numérique mis à la disposition du salarié pour la réalisation de sa prestation de travail, elle est présumée utilisée à des fins professionnelles. L’employeur peut donc y avoir accès, sans l’accord du salarié (Arrêt n°11-28649, du 12 février 2013, Cour de Cassation, Chambre sociale).
Qu’en est-il de la clé USB non-connectée ? Pour l’instant, aucun arrêt de la Cour de cassation ne permet de savoir si cette dernière est supposée avoir un caractère professionnel ou privé. Selon la Cour de cassation « les documents détenus par le salarié dans le bureau de l’entreprise, mis à sa disposition, sont présumés avoir un caractère professionnel » (Arrêt du 18 octobre 2006, Cour de cassation, chambre sociale). Il serait donc séduisant pour les employeurs d’appliquer cette jurisprudence, a pari, aux clés USB. Néanmoins il faut rappeler la définition de clé USB : il s’agit « d’ un support amovible permettant de transporter des fichiers d'un système informatique à un autre ». Tout l’enjeu est de savoir si ce support numérique peut être envisagé comme document ordinaire. Néanmoins, une partie de la doctrine estime qu’il faut assimiler les clés USB non connectées aux dictaphones. Or, « l’employeur ne peut procéder à l’écoute des enregistrements réalisés par le salarié sur son dictaphone personnel en son absence ou sans qu’il ait été dûment appelée » (Arrêt n°10-23.521, du 23 mai 2012, Cour de cassation, Chambre sociale).
Exception : l’employeur n’a pas le droit de consulter des fichiers ou e-mails
identifiés comme « personnel »
L’arrêt Nikon du 2 octobre 2001 (Cour de Cassation, chambre sociale, n°99-42.942) est la genèse de cette jurisprudence. Il établit le principe selon lequel : « l’employeur ne peut, sans violer la liberté fondamentale du respect de l’intimité de la vie privée du salarié, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où l’utilisation non professionnelle de l’ordinateur aurait été interdite ». Cet arrêt avait évidemment suscité à l’époque de vives réactions des organismes patronaux.
Par la suite, la jurisprudence a vite évoluée. Le droit du salarié à une vie personnelle au travail s’est amenuisé et le pouvoir de surveillance de l’employeur s’est accentué. Désormais, il faut que les salariés identifient clairement leurs e-mails et fichiers comme personnels pour éviter qu’ils soient lus :
- L’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme "personnel" contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé (Arrêt n°03-40017, du 17 mai, Cour de cassation, Chambre sociale).
- Le salarié doit identifier ses emails, comme « personnel » dans sa messagerie professionnelle, pour rendre leur consultation par l’employeur illicite (Arrêt n°10-26782, du 18 octobre 2011, Cour de cassation, Chambre sociale).
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Il est indispensable que le salarié appose « personnel » sur ses mails et ses fichiers. Aucune autre formule n’est prise en compte par la jurisprudence. Par exemple :
- La seule dénomination « mes documents » ne suffit pas (Arrêt, du 10 mai 2005, Cour de cassation, Chambre sociale).
- L’inscription d’un site sur la liste des « favoris » de l’ordinateur ne lui confère aucun caractère personnel, (Arrêt n°08-45253, du 9 février 2010, "Association Relais jeunes Charpennes", Cour de cassation Chambre sociale).
- Les initiales ou le prénom du salarié ne suffisent pas à rendre un document personnel, (Arrêt n°07-43.877, du 21 octobre, Cour de cassation, chambre sociale) / (Arrêt n°08-44.840, du 21 octobre 2009, Cour de cassation, Chambre sociale).
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De plus, il faut préciser qu’un salarié ne peut pas identifier comme personnel l’ensemble du disque dur de son poste de travail. En effet, il est impossible d’interdire à l’employeur tout accès à l’ordinateur (Arrêt n°11-12.502, du 4 juillet 2012, Cour de cassation, Chambre sociale).
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Sauf dans certaines circonstances :
- En cas de « risque ou événement particulier », l’employeur peut ouvrir des fichiers identifiés par le salarié comme personnels (Arrêt n°1089, du 17 mai 2005, Cour de cassation, Chambre sociale).
- « Le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées» (Arrêt n°05-17.818, du 23 mai 2007, Cour de cassation, Chambre sociale).
Article 145 du Code de procédure civile : « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé »
Le recours à cet article permet à l’employeur d’avoir accès aux fichiers et aux e-mails identifiés comme « personnel » du salarié, s’il a des motifs légitimes lui permettant de penser que le salarié est fautif ou déloyal (voir un exemple de concurrence déloyale : Arrêt n°06-19229, du 10 juin 2008, Cour de cassation, Chambre sociale). Il va pouvoir requérir des mesures d’instruction (exemples : recours à un huissier, inspection de l’ordinateur mis à la disposition du salarié, etc).
L’utilisation par l’employeur des mails, fichiers informatiques et historiques internet pour sanctionner le salarié :
L’employeur a donc le pouvoir de surveiller, contrôler et évaluer. Le cas échéant, il pourra alors sanctionner, voire même licencier le salarié en cas de manquement grave. Lors d’une procédure prudhommale l’employeur peut uniquement produire des preuves licites et loyales, en l'espèce des données non désignées comme « personnel ».
Néanmoins, même « si l'employeur peut toujours consulter les fichiers qui n'ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s'ils s'avèrent relever de sa vie privée » (Arrêt n°10-17.284, "Société Gan Assurances" du 5 juillet 2011). En effet les données litigieuses doivent se rattacher à l’activité professionnelle du salarié.
En cas d’atteinte à la vie privée du salarié ou de production de preuves n’ayant aucun lien avec l’activité professionnelle, l’employeur risque de devoir payer des dommages et intérêts à ce dernier.
De plus, selon l’aliéna de l’article 226-15 du code pénal, le fait d’intercepter ou de divulguer des correspondances émises par la voie électronique est puni d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende.
Exemples de comportements sanctionnés :
- Licenciement d’un salarié ayant surfer 41 heures sur internet à des fins personnelles (Arrêt n°07-44247, du 18 mars 2009, Cour de cassation, Chambre sociale).
- Licenciement d’un salarié consultant de manière régulière des sites « d’activité sexuelle et de rencontres » durant son temps de travail, qui avait tenté de masquer ses activités en téléchargeant un logiciel permettant d'effacer les fichiers temporaires du disque dur (Arrêt n°10-14.869, du 21 septembre 2011, Cour de cassation, Chambre sociale).
- Licenciement d’un salarié ayant utilisé la messagerie électronique de l’entreprise, permettant d’identifier l’employeur, pour émettre des messages antisémites, (Arrêt n°03-45.269, du 2 juin, Cour de cassation, Chambre sociale).




