1er mars 2015
Survie de la clause de non-concurrence, malgré la cessation de l'activité de l'entreprise
En dépit des principes fondamentaux de liberté du travail et de libre concurrence, la clause de non-concurrence empêche un salarié, après exécution de son contrat, de travailler, durant une certaine durée, pour le compte d’une entreprise concurrente de son employeur. Elle est alors valable dans un certain secteur géographique et professionnel. Une telle clause suscite des débats. En effet, elle s’avère indispensable dans des secteurs concurrentiels et/ou de haute technicité, mais peut être décriée dans certains domaines et notamment, en période de crise de l’emploi. Néanmoins, l’employeur ne doit pas utliser cette limitation contractuelle à la liberté d’embauche de manière inconsidérée. En effet, les conséquences financières peuvent être lourdes et son intérêt moindre.
Arrêt n° 13-26.374 du 21 janvier 2015, Cour de cassation, Chambre sociale :
En l’espèce, une salariée, vendeuse dans un commerce de chaussures avait souscrit une clause de non concurrence d’une durée de 3 ans, engendrant une indemnité pendant toute la durée de l’interdiction (égale à 25 % de la moyenne mensuelle du salaire perçu au cours de ses trois derniers mois de présence dans l’entreprise). Par la suite, cette dernière est licenciée, avant que son employeur ne soit mis en liquidation judiciaire.
La salariée sollicite alors auprès d’une juridiction prud’homale, le paiement de son indemnité compensatrice de non-concurrence, due jusqu'au terme prévu. N’ayant pas obtenu gain de cause, elle interjette appel. Dans un arrêt du 7 décembre 2012, la Cour d’appel de Bourges déboute la salariée de sa demande en paiement d’indemnités. Elle estime que l’appelante n’est « plus tenue à une quelconque obligation de non-concurrence à l’égard d’une entreprise qui n’existe plus ».
La salariée forme alors un pourvoi en Cassation. Le 21 janvier 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse la décision des juges du fond, en rappelant que « la clause de non-concurrence prenant effet à compter de la rupture du contrat de travail, la cessation d’activité ultérieure de l’employeur n’a pas pour effet de décharger le salarié de son obligation de non-concurrence ». Pour conclure, elle précise que la salariée étant toujours engagée par cette clause, l’employeur doit donc lui payer la contrepartie financière « au prorata de la durée d’exécution de l’obligation de concurrence ».
Cette décision s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle. En effet, il a déjà été jugé que la liquidation judiciaire de l’entreprise ne remet pas en cause l’obligation de l’employeur de verser les indemnités liées à une telle clause (Arrêt n°01-43.092 du 11 juin 2003, Cour de cassation, Chambre sociale).
Il a été aussi jugé que « la cessation volontaire d'activité de l'entreprise n'a pas pour effet de décharger de plein droit le salarié de son obligation de non-concurrence ». En l’espèce, l’entreprise avait cessé d'avoir une existence légale du fait de sa dissolution, faute de repreneur. (Arrêt n°02-45540, du mardi 5 avril 2005, Cour de Cassation, Chambre sociale).
La Cour de cassation a également décidé « que l’obligation de paiement de l’indemnité compensatrice de non-concurrence ne peut être affectée par les circonstances de la rupture du contrat de travail ». En l’espèce, le fait qu’un salarié parte à la retraite n’éteint pas son droit à la contrepartie financière (Arrêt n°07-40.098, du 24 septembre 2008, Cour de cassation, Chambre sociale).
Seule exception : la contrepartie financière n’est pas due en cas de rupture du contrat de travail par suite du décès du salarié (Arrêt n°07-43.093, du 29 octobre 2008, Cour de cassation, Chambre commerciale).
La clause de non-concurrence est souvent présentée « comme un contrat dans le contrat » (voir l’article de Lucas Bento de Carvalho, Revue de Droit du travail Dalloz de mars, p.181). Apportant une restriction aux libertés de commerce et de travail, une telle clause n’est licite « que dans la mesure où la restriction de liberté qu’elle entraîne est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise » (Arrêt du 19 novembre 1996, Cour de cassation, Chambre sociale). Que penser lorsque l’entreprise a cessé son activité ? Quels intérêts légitimes cette dernière a-t-elle encore à protéger ? Il est possible d'envisager, comme le fait une partie de la doctrine (voir l’article de Jean Mouly, Professeur à l’université de Limoges à ce sujet, Revue Dalloz droit sociale, n°4, avril 2015), que cette clause est dépourvue de cause.
Néanmoins ce n’est pas l’avis de la Cour de cassation. Le salarié doit donc continuer à ne pas concurrencer une entreprise qui n’est plus et surtout l’entreprise doit continuer à verser des indemnités pour se protéger d’un risque qui n’existe plus. La Cour de cassation se montre donc intransigeante envers les employeurs, à l'origine d'une telle clause.
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Pour aller plus loin : la clause de non-concurrence doit respecter 4 conditions cumulatives
En l’absence de disposition législative, c’est la jurisprudence, qui au fur et à mesure, a encadré cette pratique. Après une longue évolution, c’est dans un arrêt de principe, Salembier c/ SA la Mondiale, du 10 juillet 2002 (n° 00-45.135), que la Chambre Sociale de la Cour de Cassation va mettre en exergue les 4 conditions cumulatives rendant licite une telle clause :
- cette clause doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise,
- elle doit être limitée dans le temps et l’espace,
- elle doit tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié. « Elle doit laisser au salarié la possibilité d’exercer une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle » (Précis Dalloz, 28ème édition, 2014, Gilles Auzero & Emmanuel Dockès).
- elle doit comporter l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière.



